Quelques idées de Pierre CHARTIER

 

           Pierre a laissé des articles dans diverses revues de la région champenoise sur la peinture de l'entre-deux-guerres. Dans ses archives, on trouve quelques notes manuscrites, et une petite revue d'une vingtaine de pages imprimée par son oncle sur des questions philosophiques.

Sa réflexion touche à la peinture et à la philosophie.

Dans un article non daté de l'époque d'Epernay, il indique que le peintre est un poète chercheur d'absolu, et que son oeil s'oppose à "l'oeil du civilisé en délabrement" qui ne voit que des "tons salis et indécis" dans la réalité, et non pas la lumière qui procure les émotions et les éblouissements qu'éprouve le peintre. De ce point de vue, il récuse l'enseignement des Beaux-Arts de Paris pour qui il faut, avant tout, être un bon copieur et non pas rendre compte des impressions.

Il explique "qu'avoir du sentiment en peinture", c'est avoir "une perception plus franche, plus aiguë, plus précise dans le domaine de la couleur" ; la couleur étant, dit-il selon Charles Blanc, le sexe féminin de la peinture.

Une oeuvre d'art doit être un acte passionné dans lequel "la passion entre en lutte avec la raison", et "c'est la passion qui doit avoir le dernier mot" contre la raison, c'est-à-dire contre le dessin proprement dit ; "La passion (...) change le dessin, transforme les formes, les déforme".

Les critiques d'art des années 1929 à 1934 soulignent que P.C.Hartier demeure le grand symphoniste de la couleur. Ils écrivent que la poésie, la lumière et l'horreur du factice dominent aussi bien dans ses paysages que dans ses nus.

A la veille de la deuxième guerre mondiale, dans les expositions de Reims, alors que Pithois était déjà mobilisé, il lui était fait le reproche de faire des nus qui choquent le public. Il répondit sans violence, avec la volonté de convaincre, mais avec des nuances d'humour, que c'est la première fois qu'on lui faisait cette remarque, et qu'il y voyait une régression. II faisait l'apologie du "nu" qui est pur. II opposait l'innocence de ses nus à ceux d'un film militariste, des années trente, jugé non choquant, destiné au grand public, dans le but de l'appâter.

A partir de là, il entamait une réflexion sur l'union du corps et de l'esprit dans la question du plaisir. Il avait du mal à associer les deux puisque "les plaisirs du corps lui paraissaient moindres que ceux de l'esprit, et plus brefs".

II lisait Bergson et refusait d'opposer l'intelligence et le coeur. Il pensait que l'intelligence était aussi une puissance affective puisqu'elle conduisait à l'amour, l'amour de l'esprit et de la vérité. II en déduisait que le coeur pourrait être le centre de l'esprit, la conscience. Puis sa réflexion le conduisit à penser que la matière n'existait pas au sens de sa densité, mais seulement à travers l'idée que l'esprit s'en faisait. Il s'appuyait sur les débats philosophiques de l'époque et sur les découvertes en physique.

Il en concluait que le matérialisme (dont la substance est la matière) et l'idéalisme (dont la substance est l'esprit) n'avaient rien de distinct, étaient des doctrines fausses car exclusives. La matière n'avait donc aucune réalité objective.

Il s'intéressa à la psychanalyse, aux religions bouddhistes, au karma. Selon lui, l'esprit et la matière étaient de même nature.

II n'y avait dans tout cela rien de profondément original, si ce n'est que Pierre Chartier s'affirmait comme un homme moderne. Ce qui nous intéresse, c'est son interrogation constante, des années 1918 à la guerre, sur la question des liens du corps et de l'esprit, qu'il résout positivement d'abord sur le plan intellectuel en affirmant leur unité ; et qu'il résoudra apparemment sur le plan émotionnel et sensible à Chambon.

Dans la seconde partie de sa vie à Chambon, au-delà de la pauvreté extrême dans laquelle il est, il semble trouver un grand réconfort dans le plaisir de la nature, des paysages qu'il peint, des visages qu'il côtoie, comme si la sérénité qu'il cherchait avait été enfin trouvée. Peut être alors l'homme n'est plus raté comme le disait sa famille. II nous laisse des lumières, des couleurs, des traits qui témoignent d'une possible réconciliation tardive avec lui-même.

Concernant sa peinture, on peut relever une grande douceur dans les formes et les tonalités de coloris ; de la tendresse et de l'humour dans la façon de peindre les visages, les personnages et les nus ; et puis une grande gaieté.

 

Anne-Marie Chartier, sa nièce - juin 1994

Nous avons reçu 3 portraits dessinés par Pierre Chartier (voir ci-dessous) et dont le propriétaire ignore l'identité. Ils doivent dater des environs de la seconde guerre mondiale. Si vous pouvez nous renseigner n'hésitez pas à nous contacter.