La peinture de Pierre CHARTIER

 

 

               On peut se faire une idée de la peinture de Pierre Chartier essentiellement à travers la collection mise en valeur par ses amis de l'association de Chambon-sur-Voueize, et aussi à partir de quelques tableaux éparpillés dans diverses familles. On n'a pratiquement pas retrouvé trace des oeuvres vendues à l'époque où le peintre habitait Epernay, c'est-à-dire l'entre-deux-guerres, ni des oeuvres vendues à des marchands parisiens dans les périodes noires d'après la guerre à Chambon. Pierre Chartier ne vendait d'ailleurs qu'à contre-coeur depuis cette époque. Quelques oeuvres appartenant à des habitants de la région de Chambon ont été rendues publiques lors de l'exposition de 1990 dans cette ville.

Les oeuvres connues actuellement font apparaître plusieurs catégories de thèmes : de très nombreux paysages, des scènes de la vie quotidienne moins nombreuses, des nus, des portraits le plus souvent limités au visage, quelques natures mortes et de véritables toiles documentaires relatives à une époque : une moissonneuse batteuse, le montage d'un cirque, un manège, des vêtements et chapeaux féminins. On trouve assez peu de toiles intimistes même parmi les nus ; la description picturale des intérieurs est rare, mais les sujets lui manquaient probablement puisqu'il vivait seul dans un désordre inouï, ne pénétrant quasiment pas dans les intérieurs des autres sauf pendant les cinq ans de son mariage.

Parmi ses oeuvres on ne trouve que très peu d'huiles. Probablement ce sont elles qui ont été vendues en premier lieu. De plus, le peintre très pauvre, surtout dans l'après-guerre, n'avait plus les moyens d'en faire. Reste un grand nombre de gouaches, d'aquarelles et de pastels. Toutes sortes de papiers et cartons étaient récupérées pour dessiner et peindre.

Pierre Chartier a fait de nombreuses copies de ses oeuvres, soit sous forme de première ébauche, au pastel ou peinte, soit sous forme d'un véritable double. Voulait-il s'essayer une première fois, ou voulait-il garder l'ensemble de ce qu'il créait ? De ce fait, un certain nombre de copies ne sont pas signées. De plus, d'une manière générale, la signature de sa peinture a probablement été un problème ; dès lors qu'il ne peignait ni pour vendre, ni pour échanger ou donner, et qu'il considérait que son travail restait inachevé, il ne signait pas. Un grand nombre de peintures d'Epernay, de Nice et de Chambon est ainsi sans signature. C'est actuellement un problème du point de vue de la constitution et de la préservation d'une collection.

Pierre Chartier s'est d'abord fait connaître comme caricaturiste talentueux alors qu'il était étudiant ; il est étrange qu'il n'ait pas eu envie de cultiver le genre puisqu'il fut un grand portraitiste, comme Toulouse-Lautrec, de trente ans son aîné. A l'inverse de ce dernier, il n'est pas cruel dans sa peinture, mais bien au contraire il aurait tendance à ne voir que le bon côté des individus. Très critique vis-à-vis de la société, il laisse pourtant une peinture qui n'est ni une critique sociale ou de moeurs, ni une critique individuelle. Tout au plus laisse-t-il quelques tableaux coquins.

A quels courants peut-on tenter de le rattacher ? Il subit incontestablement l'influence des impressionnistes puis de ce qu'on a appelé le fauvisme, et bien qu'il soit adolescent à l'époque où le cubisme commence entre 1907 et 1911, il ne sera nullement inspiré par cette forme d'art à aucune époque de sa vie. A cet égard il suivra le même itinéraire qu'Utrillo, son contemporain (1883-1955) ; on retrouve chez les deux cette même passion pour les vues plongeantes des rues en perspective, dans les villes ou villages. Les oeuvres de Picasso, Léger ou Braque ne le marquent pas.

En fait Pierre Chartier est en premier lieu un peintre attaché à ce que fut la révolution en peinture à la fin du XlXème siècle. D'une part on y assiste aux innovations dans la façon de peindre le nu d'abord chez Manet (1832-1883), puis chez Renoir (1841-1919) : c'est l'affranchissement de la couleur qui donne la lumière au nu. Et d'autre part suivent les nouveautés introduites surtout par Monet (1840-1926) dans la façon de peindre et d'envisager la lumière par les couleurs. Ce dernier poussera l'idée de l'émancipation de la couleur à l'extrême dans les paysages : par petites touches le pinceau diffusera la lumière et le mouvement, rendant la forme secondaire. Renoir, l'un des peintres préférés de P. Chartier, réalisera le plus complètement cette synthèse à la fois dans les nus et les paysages.

Ainsi par exemple "Les deux cousines" de Pierre Chartier des années vingt peuvent être comparées à "La femme à l'ombrelle" de Monet, de même des paysages de mer à ceux de Manet et de

Monet ; ou encore les nombreuses aquarelles de Nice représentant la Promenade des Anglais, dont la femme accoudée à une balustrade, s'apparentent tout à fait au courant impressionniste, dans la suggestion des formes et des mouvements, et des effleurements de pinceaux.

Mais assez vite, à la différence des impressionnistes, Pierre Chartier dilue la couleur, effleure le papier dans les aquarelles, ou procède par grandes touches dans les huiles et subit de façon très profonde l'influence de Cézanne (1839-1906) qu'on qualifie de post-impressionniste, de baroque, de fauve, et ceci jusqu'à la fin de sa vie. II a fréquenté Matisse à Nice en 1918, de 25 ans son aîné (1869-1954). II en retire une empreinte immédiate, dans quelques tableaux des années vingt où l'association des couleurs est très vive. II en gardera le goût pour les formes et la juxtaposition des tons contrastés qui précisément soulignent la forme. De Cézanne il garde les rondes de nus autour de l'eau dans des huiles et gouaches et dans une fresque des années cinquante, retrouvée il y a peu, dans une véranda, rue Constant à Montluçon. Mais également, il prendra pour partie à Cézanne cette façon de peindre les arbres : troncs dénudés, arides, couleurs des feuillages à grands coups de pinceaux qui donnent le mouvement et la vie. Puis les arbres deviendront des sortes de pantins désarticulés dans les paysages de la Creuse, restituant la réalité des chênes "artaillés" le long des routes et dans les champs. Cette manière de peindre privilégie ce qui bouge, et donne par exemple à l'eau l'impression de se soulever et de sortir de son lit : ainsi dans les représentations de la Voueize sous le Pont Roman de Chambon. A cela s'ajouteront pour la Creuse les fameux verts et bleus, qui deviendront plus tard la qualification des paysages dans ce département.

On peut signaler de ci de là d'autres influences, telle celle de Bonnard ou Vuillard dans de rares tableaux intimistes : ainsi le portrait magnifique de sa femme assise sur son lit avec les détails des coussins, de la tapisserie, ou cette nature morte de prunes et citrons au sucrier qui semble glisser le long du tapis de la table, et enfin ces séries très tendres de chats posés sur les coussins.

Peut-être également Magritte (1898-1967) l'a-t-il touché dans quelques nocturnes.

 

Il faut parler aussi d'un certain nombre d'oeuvres que l'on pourrait qualifier de réalistes. Ainsi le vieil homme et la vieille femme saisis en plein effort marchant sur le pavé, dignes des plus grandes réalisations d'un Degas (1834-1917) lorsqu'il peint les bals ou les buveurs dans les cafés, ou encore de Cézanne sur des thèmes semblables. Dans cette lignée on trouve le mendiant, les romanichels, le grand-père Alfred, son frère jouant du violon, les monteurs de cirque, les électriciens, la batteuse...

 

Enfin il faut parler des nus très pudiques où l'on décèle l'influence de Renoir mais non point sa verve, ni ses croupes extraordinaires. Pierre Chartier aimait les femmes plutôt minces, privilégiait la douceur, la beauté suggérée et la luminosité des tons. Dans cette série figurent les grands portraits d'Anne Choubry qui étonnent par leur infinie délicatesse et bienveillance. On reconnaîtra cette dernière dans les portraits où le peintre adoucit les traits au lieu de les faire saillir. A peine une pointe d'humour dans certaines compositions. Dans ces portraits, Pierre Chartier ne cherche pas le réalisme, il idéalise la femme en général et rend hommage à la féminité.

Ses portraits sont sans doute l'une des parties très originale de son oeuvre, très typée, et qui constitue aussi un documentaire sur une époque, par les chapeaux et les robes.

 

Pour finir Pierre Chartier est un peintre figuratif, dont la modernité se rattache à celle de la fin du XlXème et du début du XXème siècle. Il traverse son siècle sans sentir l'influence de ce que l'on a appelé la peinture abstraite. Quelques tentatives à l'huile, fort belles, demeurent cependant. Ses dispositions psychologiques lui interdisaient peut-être d'aller là où les peintres peuvent s'intégrer socialement et par conséquent être plus réceptifs à la modernité d'après-guerre en peinture.

 

 

Nous avons reçu 3 portraits dessinés par Pierre Chartier (voir ci-dessous) et dont le propriétaire ignore l'identité. Ils doivent dater des environs de la seconde guerre mondiale. Si vous pouvez nous renseigner n'hésitez pas à nous contacter.